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mardi 15 mai 2007

109 - Une existence de pompiste

A me frotter aux affaires communes inhérentes à l'existence humaine, inévitablement j'en viens à côtoyer, et c'est bien fâcheux, le vulgaire. Dans toute sa détestable ampleur. Les minuscules, moyennes ou énormes aspirations matérialistes de mes contemporains m’affligent. Mais je n'oublie pas de m'en amuser pour autant.

Par exemple devant un brave pompiste j'affiche toujours un simiesque sourire social en me faisant passer pour un des siens : un frère du quotidien, un coeur somnolent, un esprit horizontal, convaincu comme lui-même que mon salut dépend de la qualité du carburant qu'il me vend et, accessoirement, de la marque de mon véhicule, ainsi que de tous les objets manufacturés qui m'entourent... Pauvre pompiste pour qui j’éprouve une sincère pitié en secret derrière mon sourire de façade.

Pauvre pompiste… Mais il y a encore tous les autres : ces pauvres banquiers trop occupés pour me prendre au sérieux, ces pauvres salariés trop humbles pour oser penser au lieu de faire les ruminants. Pauvres nantis et déshérités que sont ces gens-là ! Pauvre égal, pauvre semblable, pauvre homme, pauvre frère, que celui qui mise tout sur le visible, le palpable, le négociable.

Quelle inconséquence chez ces adultes majeurs, responsables et chefs de famille...

Face au quidam qui tend ses billets à celui qui lui vend des richesses matérielles, j'éprouve une pitié christique. Il faut voir les faciès satisfaits de ces gens immatures, infantilisés par leur sérieux de circonstance, voir avec quelle conviction cette humanité grotesque patauge dans ses rites puérils… Ce sont des mines pleines de félicité temporelle. Mais vides d'idéalisme. De pauvres gens sans espoir de devenir autre chose que des consommateurs exigeants, "connaisseurs avertis" même sur les questions matérielles.

C'est ça la culture de l'abrutissement. C'est penser, le coeur pleinement convaincu, qu'il faut mettre du carburant de qualité dans le réservoir de son véhicule. Parce qu'un moteur à explosion, pour un honnête homme qui travaille, qui connaît la vie et qui sait ce qu'il veut, c'est important. Ils le croient tous, ces conducteurs salariés, ces pères de famille, ces pêcheurs à la ligne qui ont des rêves de vacances sous les cocotiers pour tout idéal.

Depuis longtemps j'ai renoncé à parler « sérieusement » aux pompistes, aux marchands de tous bords, aux banquiers et à tous ces inconnus aux intentions mercantiles : je me contente de leur sourire, leur faisant croire ainsi que je suis de leur monde, préoccupé comme eux par des affaires domestiques.

Pauvres pompistes. Avec eux encore moins de chance de leur parler : j'ai cessé de posséder un moteur à explosion.

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