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mardi 15 mai 2007

127 - Considérations générales et particulières au sujet de ma particule

Le problème de la particule se pose, je pense, dès lors que l'on commence à dénigrer sa valeur sociologique, son prix culturel, son caractère éminemment vénérable, son essence mystique, sa spécificité morale. Et sa fonction sociale.

L'aristocratie est une composante obligée de toute société. Que les modèles soient des banquiers, des chanteurs populaires ou des nobles pleins d'honneur et de fierté (comme moi), le problème demeure le même : les sociétés humaines ont besoin de vivants représentants d'une certaine élite, soit pour s'identifier à celle-ci, soit pour en faire un contre modèle. Quoi que l'on dise, l'élite est le fer de lance de toute organisation sociale de base. Quant à décréter que cette élite pourrait être plutôt le monde des chanteurs ou bien le monde des banquiers, plutôt que celui des hidalgos, ceci est uniquement affaire de maturité d'esprit de la part de celui qui décrète. En ce qui me concerne, je reconnais l'aristocratie comme la véritable représentante de l'élite sociale. C'est elle qui fait autorité dans ma culture. L'important pour moi, n'est pas d'avoir un diplôme, ni de gagner beaucoup d'argent, mais d'être élevé à la dignité de noble. A mes yeux, seule la particule sauve. Elle est le point de repère de l'orgueil bien utilisé. Qu'ai-je à prouver, moi qui suis bien né, à celui qui se targue d'être devenu quelqu'un tout en étant fils de rien ? La particule n'est pas un mérite, mais une grâce tombée du ciel. Peu m'importe la manière dont cette grâce est descendue sur ma tête, que ce soit par hasard ou par volonté humaine, le ciel a parlé et m'a fait « de ». Et c'est cela qui est important à mes yeux. Je n'ai pas demandé un tel honneur, j'ai été couronné à ma naissance, par ma naissance. Je n'ai rien fait pour. C'est ce qui me distingue de celui qui cherche la reconnaissance à travers l'élévation sociale. A chacun son hochet.

Pour certains ce sera l'argent, pour d'autres la célébrité. Pour moi c'est la particule.

La particule est une distinction. Un privilège culturel, social, une faveur divine. Une grâce qui peut tomber aussi bien sur le bossu que sur l'ignorant, sur le prix Nobel que sur l'idiot du village. Je crois, et cela est mon droit le plus légitime, être né sous les lueurs de la nuit.

Mes Pères, les Anciens, viennent du ciel, ils descendent des étoiles. Mon nom "Izarra" ne signifie-t-il pas « Etoile », en souvenir précisément de l'une de ces lumières qui brillent aux nues et d'où est issu mon sang ? Cette explication poétique vaut bien toute autre qui dénigrerait le sens sacré de mon nom à rallonge.

Si un banquier se croit un prince parce qu'il a des coffres-forts et une belle situation, pourquoi moi qui ai la chance d'avoir la particule, et simplement la particule, je ne mettrais point un prix à ma fortune temporelle ? Puisque tout est relatif sur le plan social, si ma particule ne vaut rien aux yeux de certains, le titre de Président de la République ne devrait rien valoir non plus. Mais si un Président de la République c'est quelqu'un, à cause de son « diplôme de Présidence de la République », et uniquement à cause de cela, alors moi je suis quelqu'un à cause de mon diplôme de «particulé». Jouons le jeu des vanités sociales ou ne le jouons pas. Mais, si nous le trouvons faussé, mensonger ou insultant, à ce moment-là quittons la société des hommes et faisons-nous ermite.

Oui, je suis fier et honoré à cause de ma particule. Mon «de», c'est ma culture, ma richesse, ma personnalité intime, mon blason, ma différence. Au contact permanent avec la particule, mon coeur prédisposé s'est progressivement rempli d'un sentiment d'élévation. D'abord cela a été confus, à mesure que je prenais conscience de l'importance de mon nom, puis au fil des ans j'ai été persuadé d'appartenir à l'espèce noble.

Qu'est-ce à dire ?

Je suis né pour avoir la particule, comme d'autres sont nés pour être mécréants, leurs prédispositions naturelles se confirmant, se renforçant au contact de leur milieu. L'Etat Civil m'a fait noble. A tort ou à raison aux yeux de certains «hérétiques». Le fait est qu'aujourd'hui je jouis de ma particule. Est-ce la particule qui m'a façonné à son image ou bien est-ce le Destin qui m'a couronné avec cette particule en signe de noblesse, toujours est-il que je crois en mon ETOILE. Je crois en mon nom, comme d'autres croient en leur compte en banque ou bien en leurs diplômes. Que l'on m'ôte ma particule, et je ne suis plus moi-même, tant je me suis identifié à celle-ci. Je n'oserais plus me mêler à mes semblables si je devenais leur semblable. Ma particule, c'est ce qui me distingue des autres, des «sans particules», c'est mon habit de sortie, mon épée au côté, mon panache, mon étendard, mon vif blason.

J'ai le sens du sacré, le sens du mystère. Je crois aux chimères dans la mesure où j'y crois. Avec naïveté, avec obscurantisme, avec imbécillité, certes. Mais avec noblesse. Avec grandeur. Avec un sentiment « donquichottesque » au coeur.

Ma particule, je ne l'occulte pas comme le font certains membres de ma famille. Je la montre tant que je le peux, selon l'élémentaire bienséance qui règle ordinairement les rapports sociaux. Je ne l'affiche pas comme un argument imparable, je la montre simplement et cela est suffisant. La crinière du lion seule fait autorité, nul besoin qu'il sorte la griffe. Je n'ai pas honte de mon «de». J'ai un beau nom, je suis bien né, et je rends grâces au Ciel pour tous ces bienfaits impalpables. «L'essentiel est invisible pour les yeux», disait le Renard. Ma particule n'est pas seulement inscrite sur mon front (sur lequel on peut y lire ma noblesse), elle est également et surtout secrètement logée au fond de mon coeur. Je sais que je suis un noble, et j'y crois. Le reste, c'est-à-dire les tentatives de dénigrement, n'est que prosaïsme le plus horizontal.

Pour rien au monde je ne veux faire partie de la moyenne générale. Et mon discours sur la particule, c'est un combat personnel contre la pensée borgne et fruste, tiède et insipide de la masse, du peuple, de cette racaille qui n'est pas éveillée aux beautés secrètes de l'invisible. Le peuple ne connaît pas les beaux sentiments. Il n'est guère sensible à l'élévation du coeur et de l'esprit. Il ignore la beauté d'une simple particule.

Et tout est dit.

Refuser de glorifier sa particule quand on a la chance d'en posséder une, c'est ne pas faire honneur, à mon sens, à la mémoire de ceux qui ont contribué à faire ce qu'on est aujourd'hui. Car enfin, qu'est-ce que la particule ?

Pour l'esprit dénué de critique comme pour l'inculte, c'est simplement deux lettres précédant un patronyme. Autant montrer à un âne une partition de musique. Il ne verra que des points épars sur des lignes. L'âne n'entend pas Mozart de la même oreille qu'un mélomane. De même, pour l'humble équidé un poème de Victor Hugo ne sera rien d'autre qu'une succession de caractères noirs jetés sur un carré de papier blanc, sans nulle valeur à ses yeux. Pour l'être doté d'un minimum d'intelligence et de sensibilité, un poème de Hugo sera autre chose que des simples lettres additionnées et agglutinées de façon à former des mots sans nulle résonance. L'intelligence, la sensibilité transforment les mots en chants sacrés ou en histoires d'amour. Bref, des choses cohérentes et admirables naissent des mots, des partitions. Parce que l'être doué d'intelligence sait prendre du recul par rapport aux simples apparences brutes et primaires des choses, les mystères se révèlent à lui.

L'érudit se délecte de la prose kantienne, quand le grossier, ne trouvant là que perte de temps, s'ennuie. Un gouffre culturel sépare ces deux êtres. Le mystère et la beauté cachés derrière les apparences ne s'ouvrent qu'aux plus beaux esprits.

Entre l'âne et le philosophe, il y a le mur infranchissable et sacré de l'intelligence, quelque chose de divin. Je sais que vous ne voyez dans ma particule que deux lettres bien banales. Vous éludez, consciemment ou non, le contexte particulier du problème. Face à ma particule vous vous comportez comme l'âne devant une partition de Mozart. Par pur esprit réactionnaire vous semblez (comme la plupart des gens à qui je tiens ce discours) ne pas avoir accès à la beauté secrète de l'affaire, trop préoccupés que vous êtes à regarder le plus près possible cette particule.

En ce cas vous ne prendriez pas le recul nécessaire qui permet de voir l'ensemble dans son contexte, comme lorsqu'on prend du recul pour admirer un tableau impressionniste. Pour vous comme pour mes détracteurs il est vain de prendre à coeur comme je le fais ce problème de la particule, parce que selon vous (insensibles que vous êtes à ce problème) il n'y a nul mystère à sonder là-dedans. Et vous aimeriez que je traîne mon « de » sans aucune fierté particulière, ignorant du trésor légué par le Ciel... Je finis par croire que finalement la particule se mérite.

Si l'heureux possesseur d'une particule ne sait pas décoder le message céleste tombé sur lui à sa naissance, il n'en est pas digne. Tout le reste, c'est de la mauvaise littérature. C'est comme si l'on tentait de désacraliser les partitions de Chopin ou les écrits de Hugo en expliquant que ce ne sont là que des signes inscrits sur du papier, et que les beautés que l'on accorde à ces choses sont subjectives, artificielles, sans fondement solide, vu que tout n'est qu'affaire de sensibilité personnelle, et donc aléatoire, arbitraire. On a le droit de ne pas être sensible à la musique de Chopin ou aux histoires de Hugo, mais a-t-on le droit de dénigrer les arts pour l'unique raison que l'on est hermétique aux caractères imprimés, donc que l'on est analphabète ? Ou bien sourd ?

Le problème est là, en ce qui concerne cette chère et précieuse particule qui fait ma fierté. Si des sensibilités incultes ou sourdes et aveugles ne veulent voir rien d'autre dans le «de» que deux lettres alphabétiques, c'est bien triste mais c'est leur problème au fond. Ceux-là n'ont pas accès aux richesses intérieures, aux émotions oniriques, poétiques. Pour ces gens-là le romantisme n'est qu'un mot formé de 9 lettres alphabétiques, le rêve un autre mot de quatre lettres, etc.

Jusqu'au mot «IZARRA» qui ne veut rien dire non plus, en tout cas pas plus que la particule. Pour moi ce mot suprême signifie «ETOILE». Et en plus ce mot est enrichi d'une particule. Tous les signes sont là pour sacraliser, à juste titre, ce beau et noble nom que je porte.

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