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mardi 15 mai 2007

223 - Un spectre de chair

Mademoiselle,

Le rêve ne s’est pas brisé au Vieux-Mans. Alimenté par notre rencontre, il s’est fait corps. Il s’est prolongé, enraciné dans le réel, se mêlant à la pluie, pénétrant les pavés, accompagnant de sa musique lourde et mélancolique le son discordant de l’orgue de la cathédrale. Et j’endure à présent la douleur des pierres, des cœurs inapaisés et des gargouilles noircies. Et je psalmodie plus que je ne chante ce bonheur romantique et ténébreux de vous avoir rencontrée.

Je gémis mon étrange bien-être, je m’enivre de mon malaise, je savoure la brume de mon âme… C’est que vous étiez une charmante endeuillée, une troublante immolée, une émouvante crucifiée. L’ange blessé a touché le démon qui lui faisait face. Aujourd’hui mon cœur est brisé, durablement. C’est l’amour Mademoiselle. L’amour dolent, triste et vaincu qui se complaît à se regarder se débattre dans sa propre douleur.

Mademoiselle, vous n’avez pas conscience de votre venin. Votre pouvoir est maléfique et beau, angélique et dangereux, funeste et propice, maudit et enchanteur. Cet orage provoqué par vos yeux, ce foudre descendu de votre front jupitérien, ce maelström où m’a jeté votre voix m’ont été fatals. La tempête que sur votre passage vous avez déclenchée a dévasté mon cœur. Vous avez laissé un naufragé derrière vous.

Vous étiez belle comme un sanglot, fragile tel un château de sable, toute de cristal, de mystère et d’azur ainsi qu’un vitrail. Il pleuvait sur la vieille citée mancelle, une onde froide, et c’était le déluge dans mon âme. Le ciel était en larmes. J’ai pleuré moi aussi. Qui de Dieu ou du Diable a su distinguer, sur ma joue, les gouttes de pluie du sel de mes larmes ?

Que ce témoin soit d’en haut ou d’en bas, devant lui je le jure, devant lui je vous aime.

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