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mardi 15 mai 2007

238 - Une farce cadavérique.

Etendu dans mon beau linceul doré, je souffre sans broncher les sourires et les haut-le-coeur que l'on m'adresse, imperturbable devant les chapeaux chics et les mines douteuses qui se penchent sur moi. Je me plie de bonne grâce à mes dernières obligations mondaines, et les hôtes qui défilent dans le salon mortuaire sont sensibles à mon aimable rigidité. Certes on me trouve un peu plus froid que d'habitude, mais c'est un peu normal étant donné que je suis quand même un peu mort.

De temps à autre je reconnais des invités plus ou moins aimés, plus ou moins amis, qui se pressent à mon chevet funèbre, et j'entends des bribes de commentaires :

- Ne trouvez-vous pas chère, que même dans cette posture définitive notre regretté ami garde ce je ne-sais-quoi d'izarresque assez insupportable ?

Ce "je-ne-sais-quoi" que l'on m'attribue habille à merveille ma roide dépouille. C'est très "monde", très proustien, voire assez flatteur pour un cadavre qui n'est déjà plus très frais. Je trouve que je ne m'en sors pas trop mal dans mon immobilité forcée, faisant bonne figure bien malgré moi. Ce "je-ne-sais-quoi" souligne avec une distinction toute parisienne la pâleur de mon visage.

J'entends encore :

- Dire qu'il se prenait pour un des nôtres. Pensez donc ! Ce provincial invétéré avait de ces prétentions...

Certes, cependant force est de constater que ce cher Monsieur est quand même venu à cette "provinciale" réjouissance. Mais comme je suis un cadavre bien élevé, je me tais.

Avec stoïcisme j'essuie ce genre de commentaires, et bien d'autres encore, jusqu'à mon entrée glorieuse au cimetière. Pour l'occasion j'essaie tant bien que mal de faire une "descente d'escalier" digne de mon beau nom à rallonge. Les cadavres ont aussi leurs petites vanités. Mais j'avoue cependant que l'affaire est assez difficile à réussir comme on le voudrait quand on est quelque peu trépassé. Aussi je me contente d'une prestation plus modeste.

Ca y est. Les formalités religieuses ont été expédiées et maintenant tout est fini. La mise en terre s'est bien passée, tout le monde est content, surtout le premier intéressé qu'on laisse officiellement reposer en paix dans le soulagement général. Les hôtes peuvent retourner à leurs salons boulevardiers et autres habitudes "biscuitières".

Mais la farce là-dedans, où est-elle me direz-vous ? Elle est dans le cadavre que les invités n'ont pas cessé d'asticoter.

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